Son métier : pilote de chasse !

Le  Capitaine  D.  veut  garder  son  anonymat,  comme  souvent quand on travaille à la Défense. Tout ce que vous saurez sur lui,  c’est qu’il a 32 ans,  qu’il est  domicilié en province de Namur et qu’il  est  pilote  à  la  base aérienne de Florennes. Mais il a bien voulu répondre à toutes nos autres questions sur son métier…

Depuis combien d’années êtes-vous pilote de chasse ?

« Je suis rentré à la Défense en août 2003. Après deux ans et demi de formation de base, j’ai reçu mes ailes de pilotes en mai 2006. Cela fait donc 10 ans cette année. »

Quel rôle avez-vous à Florennes ?

« Je suis pilote opérationnel dans une des deux escadrilles de la base. Je suis spécialisé dans tout ce qui tourne autour de l’armement et des tactiques d’emploi. »

Vous avez toujours travaillé à la base aérienne de Florennes ?

« Non. Je suis arrivé à Florennes en avril 2008. Entre mon entrée à la Défense et mon arrivée à Florennes, j’ai pas mal voyagé dans différentes bases au rythme de ma formation.

 

J’ai commencé par passer un an complet à l’Ecole Royale Militaire pour y suivre les cours théoriques nécessaires à l’obtention du brevet civil ATPL (Air Transport Pilot Licence).

 

Je suis allé ensuite au 1er Wing de Beauvechain pour y commencer ma formation en vol sur SF-260 Marchetti. J’y suis resté un an, le temps de compléter tous les vols et d’être sélectionné pour poursuivre ma formation comme pilote de chasse.


J’ai ensuite poursuivi ma formation en France sur la Base Aérienne de Tours (Indre-et-Loire). La Belgique venait à cette époque d’entamer un partenariat (qui existe toujours) avec la France pour entraîner conjointement leurs pilotes. J’y ai volé sur Alpha Jet pendant 10 mois.

 

J’ai reçu mes ailes de pilote et j’ai continué ma formation un peu plus au sud de la France, sur la Base Aérienne de Cazaux (Gironde). J’y ai également passé 10 mois pour parfaire la formation tactique sur Alpha Jet.

 

Ensuite, je suis rentré en Belgique au 10ème Wing Tactique, sur la base de Kleine Brogel (Limbourg) pour commencer ma conversion sur F-16 MLU. Après un an à Kleine Brogel, je suis enfin arrivé à Florennes. »

La base aérienne de Florennes a-t-elle des spécificités par rapport à d'autres bases ?

« C’est la base qui s’étend sur la plus grande superficie en Belgique. À l’instar des bases de Kleine Brogel (Limbourg) et de Beauvechain (Brabant Wallon), elle possède deux pistes parallèles, ce qui est assez pratique et offre une certaine flexibilité.

 

Le cadre est particulièrement agréable. Nous sommes

véritablement en pleine nature et en 5 minutes de vol à peine, nous sommes au beau milieu de l’Ardenne qui nous offre des paysages magnifiques quelles que soit les saisons. »

La base aérienne de Florennes a-t-elle des spécificités par rapport à d'autres bases ?

« La Wallonie est en général très jolie à survoler. Dans la province de Namur, certains sites comme l’abbaye de Maredsous ou le château de Celles sont particulièrement remarquables. La vallée de la Meuse entre Profondeville et Hastière vaut également le détour. Certains villages ou certaines villes comme Dinant ou Rochefort sont jolies. La plupart du temps nous les contournons afin d’éviter toutes nuisances sonores, mais nous pouvons malgré tout apprécier la vue. »


« Je suis toujours étonné de constater qu’il y a aussi beaucoup de beaux châteaux avec de très belles propriétés. Malheureusement, nous avons assez peu de temps et d’occasions pour admirer et profiter du paysage. Les avions de tourisme sont plus appropriés à la balade. »

Quelles sont les qualités pour être un bon pilote ?

« Il faut pouvoir rester calme. Savoir gérer ses émotions et la pression en toutes circonstances, et particulièrement en opération, est primordial. Paradoxalement, il faut rester les pieds sur terre, ne pas s’emballer et, surtout, il faut toujours pouvoir se remettre en question. Le vol dans ce type d’avion à la pointe de la technologie n’est pas envisageable sans une perpétuelle remise en question. On n’est jamais vraiment au bout de sa formation. L’avion reçoit des modifications, des améliorations et des nouveaux armements quasi tous les ans. Un pilote qui ose croire qu’il connaît tout va droit à l’échec. Par exemple, en un peu plus de 9 ans sur l’avion, j’ai connu 7 modifications majeures de l’électronique embarquée.  Par conséquent, être travailleur, assidu et motivé me semble être également de bonnes qualités. »

Pouvez-vous nous raconter l’une de vos journées ?

« Chaque journée est différente et dépend directement de la variété de missions que nous avons à effectuer. Outre le vol, nous avons également des tâches annexes à assumer. Une journée de vol est bien remplie et laisse peu de temps à consacrer à ces autres tâches. C’est pour cette raison que nous ne volons pas tous les jours, cela nous permet de rester à jour à tous les niveaux. Il faut également réserver du temps à l’étude pour maintenir nos compétences et pouvoir les transmettre.

Finalement, il ne faut pas négliger le sport, afin d’entretenir une certaine condition physique.

 

Nous devons également assumer des périodes de permanence opérationnelle. Nous restons alors sur base pendant 24 heures et nous sommes prêts à décoller en 15 minutes afin de protéger le territoire national.

 

Cependant, une journée type de vol commence 3h30 avant l’heure prévue de décollage. Nous arrivons alors à l’escadrille pour débuter la préparation de la mission. En général, cette préparation dure une heure à une heure trente. Cela dépend bien sûr du type de mission que nous devons effectuer et de sa complexité. Pour nous aider à tout réaliser dans les temps, nous avons à notre disposition du personnel de support spécialisé. Des planificateurs de mission nous aident à préparer les données, les cartes et les différents documents que nous emportons dans l’avion. Nous avons également des officiers de renseignement qui nous informent sur les différentes menaces et doctrines ennemies.

 

A l’issue de la préparation de la mission, nous consacrons une heure pour briefer la mission entre pilotes. Nous volons toujours au minimum à 2 avions pour assurer la sécurité de chacun et se protéger mutuellement. Mais nous volons également régulièrement à 4 avions, voire plus, en fonction de la mission.

 

Après le briefing, nous partons vers la ligne. C’est l’endroit où nous prenons en charge les avions auprès des techniciens. Ils nous briefent sur le statut des avions et des éventuels avions de rechange. Nous décollons ensuite pour une mission qui dure, en général, une heure à une heure trente.

 

De retour à la base, c’est le chemin inverse. Nous passons par la ligne pour débriefer avec les techniciens le statut des avions. Ensuite c’est le retour à l’escadrille où nous rendons notre matériel de mission au personnel de support. Ils préparent alors le débriefing.

 

Tout ce que nous faisons en vol est enregistré sous toutes ses coutures ; il est dès lors, impossible de tricher ou de cacher quoique ce soit. Nous pouvons analyser chaque mouvement de l’avion grâce au GPS et nous savons exactement reproduire tout ce qui s’est passé. C’est très important, parce que le débriefing fait partie intégrante du vol. Il s’avère même parfois être la partie la plus importante car il permet de pouvoir repérer les erreurs et donc d’éviter, pour le prochain vol, de les reproduire. Le débriefing dure entre une heure et une heure trente également.

 

Si on additionne tout, sept à huit heures se sont écoulées depuis notre arrivée à l’escadrille et je n’ai compté que trente minute pour manger. La journée plus administrative peut alors commencer car les tâches annexes doivent encore être gérées. Il est donc fréquent d’avoir des journées de 10 heures, voire plus. Nous volons aussi bien de jour que de nuit, sans réelle différence. »

Quel conseil pourriez-vous donner à un jeune qui souhaiterait devenir pilote de chasse ?

« Never give up ! C’est un rêve accessible à condition de travailler et de se donner les moyens de réussir. La formation n’est pas évidente parce qu’il faut intégrer beaucoup de nouvelles choses très rapidement. La marge de progression d’un vol à l’autre est importante mais la motivation et la volonté permettent de tout réussir étape par étape. Les sacrifices en valent vraiment la peine, c’est une passion qui devient un métier. »

Vous êtes un namurois pure souche ?

« Non pas du tout. J’ai migré dans la province de Namur pour me rapprocher de Florennes. Je suis donc plutôt namurois d’adoption… »

Propos recueillis par Denis Boussifet.